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Portrait de leader

De la parole aux actes

10 janvier 2008

Karine Bellerive

Le professeur de fiscalité Luc Godbout est de toutes les tribunes. Son implication sociale se manifeste dans son enseignement, certes, mais également par le biais de ses fréquentes interventions à la radio et à la télévision, des nombreuses conférences qu'il prononce, des chroniques et textes d'opinion qu'il signe régulièrement dans les journaux et des innombrables articles et ouvrages qu'il publie. Son principal cheval de bataille à l'heure actuelle : l'équité entre les générations.

Chercheur à la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques, et père de deux jeunes garçons, il souhaite que des gestes soient posés pour permettre le maintien à long terme d'une qualité de services publics et d'une fiscalité équivalente aux nôtres. «C'est un deal qu'il faut faire avec nos enfants, soutient-il. Il faut assurer le bien-être des générations d'aujourd'hui, sans compromettre celui des générations futures.» Luc Godbout reconnaît qu'il s'agit d'un défi de taille, mais il insiste sur l'importance d'oser agir maintenant. Il s'agit d'ailleurs du titre d'un ouvrage qu'il a publié au printemps dernier, avec quelques collègues. «On peut décider de ne rien faire, mais c'est beaucoup plus risqué», dit-il.

Choc démographique, augmentation du nombre d'aînés, hausse des dépenses de santé, diminution du nombre de travailleurs potentiels, déficits budgétaires chroniques; les projections du fiscaliste, qui se basent sur les données de l'Institut de la statistique du Québec, sont préoccupantes. Pour pallier l'inévitable manque à gagner dans les coffres de l'État, Luc Godbout appuie la création d'une caisse démographique, qui pourrait être gérée par la Caisse de dépôt et placement du Québec. «Ceux qui s'opposent à la constitution d'un bas de laine s'opposent aussi à la privatisation des soins de santé, dit-il. Mais si on ne fait rien, peut-être n'aurons-nous plus le choix.»

Lucide mais solidaire

Luc Godbout reconnaît que son point de vue se rapproche de celui des signataires du manifeste Pour un Québec lucide. «Il y a des petites choses sur lesquelles j'aurais discuté, mais en gros, j'aurais pu le signer», affirme-t-il. Le chercheur souligne toutefois qu'un réel débat doit avoir lieu. «Dès le départ, j'étais content de lire le contre-manifeste des «solidaires», affirme-t-il. Ce qui est dommage, c'est que ça a cristallisé les positions. Il n'y a plus rien qui bougeait, plus de négociation possible.»

Révélant sa grande qualité de rassembleur, il a décidé d'organiser, en mai 2006, un colloque réunissant des «lucides» et des «solidaires». Au terme d'une journée de présentations lors desquelles ils ont fait valoir leur vision respective, l'idée a germé de publier un ouvrage qui réunirait les propos de chacun. Lancé en 2006, Agir maintenant pour le Québec de demain – Des réflexions pour passer des manifestes aux actes rend compte des enjeux de l'avenir des finances publiques. L'objectif est de permettre à ceux qui le souhaitent de prendre part au débat et de l'influencer.

Luc Godbout se fait d'ailleurs un devoir de faire preuve de pédagogie à travers ses interventions. «C'est important que ces sujets difficiles soient correctement exposés, explique-t-il. Il y a une manière de rendre cela simple.»

Une expertise sollicitée

L'expertise du spécialiste des finances publiques est régulièrement sollicitée. Le professeur Godbout a notamment collaboré aux travaux de la Commission sur le déséquilibre fiscal, présidée par l'ex-ministre libéral Yves Séguin. Tout dernièrement, le chercheur a été invité à faire partie du Groupe de travail sur les aides fiscales aux régions-ressources et à la nouvelle économie créé par la ministre des Finances, Monique Jérôme-Forget. Après six mois de travail, les membres ont déposé, en décembre, un rapport faisant état de leurs recommandations sur les meilleures orientations à suivre à l'égard des territoires et des secteurs d'activité économique concernés.

Interrogé quant à une implication plus concrète en politique, Luc Godbout confesse qu'il aurait du mal à composer avec les contraintes liées au respect de la ligne de parti. «Je crois que mon implication actuelle est une façon plus intéressante de faire de la politique, explique-t-il. Je jouis d'une entière liberté.»

Un cheminement improvisé

Ce besoin de liberté semble avoir teinté le cheminement académique et professionnel de ce jeune professeur. «En 5e secondaire, je n'avais pas d'horizon à long terme, dit-il. Je me suis inscrit dans une technique en comptabilité. Je n'avais pas l'intention d'aller à l'université.» La vie l'y a finalement entraîné, d'abord au baccalauréat en économie, puis à la maîtrise en fiscalité. «Il y avait des choses fascinantes là-dedans, affirme-t-il. On était en récession, le taux de chômage était élevé, on parlait de libre-échange… Je regardais cela du point de vue des sciences sociales plus que des mathématiques.»

Une fois diplômé de l'UdeS, le professeur Godbout a oeuvré quelques années dans le secteur privé. «Je ne renie pas mon expérience, mais il est normal, lorsqu'on travaille à conseiller les entreprises en matière de fiscalité, de trouver des moyens de réduire leur facture fiscale», note-t-il. Désireux d'élargir ses horizons, il a séjourné deux ans au Mali dans le cadre d'un projet de réforme fiscale parrainé par l'ACDI, en collaboration avec la firme CRC Sogema. C'est dans ce pays enclavé d'Afrique qu'il a rencontré sa conjointe, la mère de ses enfants.

De retour au Québec, on lui offre un poste de professeur à l'UdeS s'il obtient son doctorat. Il le termine en seulement deux ans dans une université française. «Je suis parti avec mon sujet en tête. J'avais déjà fait beaucoup de recherche et je suis arrivé avec 90 kg de bagages excédentaires!» Ses efforts ont porté fruit puisqu'il a reçu le prix Bercy 2004 décerné par la Société française de finances publiques pour récompenser la meilleure thèse en finances publiques.

Depuis, Luc Godbout transmet ses connaissances et sa passion à ses étudiantes et étudiants. Certains d'entre eux ont même réalisé des études sur les réformes fiscales maliennes. Et le professeur est heureux de garder le contact avec ses anciens collègues africains. «Cet été, ils m'ont téléphoné en vue de se préparer à la venue du Fonds monétaire international, relate-t-il fièrement. Plutôt que d'attendre qu'on leur impose des mesures, ils voulaient être proactifs et proposer des choses.» Voilà une philosophie qui inspire!